[« Appel à plus de bienveillance au travail ».
Entreprise & Convivialité est partenaire de Psychologies Magazine pour la journée de la gentillesse. A cette occasion, un Appel à plus de bienveillance au travail a été lancé en 2011, et déjà signé par plus de 300 entreprises, concernant ainsi plus de 400 000 collaborateurs.
« Donner du sens au travail de chacun, développer la qualité des relations et le mieux-vivre ensemble, veiller au bien-être des individus… » nous semble correspondre tout à fait à notre philosophie, c’est pourquoi notre association s’est engagée auprès de Psychologies Magazine.]
Je comprends les motivations qui ont pu donner naissance à un appel de cet ordre. L’intention est louable et l’expression est positive, seulement, voilà… Vue de l’intérieur de l’entreprise, elle place les salariés en position de demandeur, c’est à dire en situation d’infériorité, les mettant dans l’obligation d’avoir à justifier cette demande. J’aurais, pour ma part, au vu de la sensibilité du sujet, renversé l’approche en demandant « moins de malveillance », évitant ainsi de placer les salariés en demande de sentiment, et plaçant au contraire le débat sur ce qui provoque la malveillance. Demander de la bienveillance, c’est s’exposer à entendre la sempiternelle réponse, avec laquelle trop de managers se prennent pour des chefs : « on n’est pas là pour faire du sentiment ». Demander moins de malveillance oblige l’interlocuteur à s’interroger sur l’origine de la malveillance et prévient ce type de réponse.
Que penser de cette réponse ?
Elle sous entend que les salariés ne sont pas au travail pour faire du « bon sentiment » et que par conséquent, dans les affaires, tous les coups sont permis. Certes, il est tout à fait exact que nul ne vient au travail « pour faire du bon sentiment ». Mais il est tout aussi exact que nul ne vient au travail « pour faire du mauvais sentiment ». Introduire la question du sentiment dans le travail élude le débat sur la bienveillance, et le fausse, tout simplement parce que la question du sentiment au travail est hors sujet.
Tous les salariés viennent au travail en vertu d’un contrat de travail, et même, si l’on en croit la jurisprudence, d’un contrat de « bon travail » : si l’employeur est tenu à une exécution loyale du contrat de travail, le salarié est tenu, en contrepartie, d’exécuter un bon travail, à tel point qu’un employeur peut se séparer d’un salarié qui fait du mauvais travail !
Poursuivons le raisonnement.
A partir du moment où les salariés, y compris les managers, viennent au travail pour faire du bon travail, cela signifie qu’ils ne viennent d’abord ni pour avoir de bonnes relations, ni pour en avoir de mauvaises. La question de la qualité des relations et de la place de la bienveillance comme de la malveillance est donc seconde. Pour autant, et l’expérience le montre quotidiennement, cette question prend souvent le pas sur l’accomplissement du travail lui-même. Il s’avère en effet que, dans une équipe de travail, la fluidité des relations au quotidien, ce que l’on appelle communément les « bonnes relations » constitue un des facteurs clés de succès.
Mais d’où viennent ces « bonnes relations » ?
Si la raison d’être de la venue au travail est de faire du « bon travail », la question qui se pose immédiatement est celle du professionnalisme. Chacun sait, à tous les niveaux de la hiérarchie, qu’il n’est pas possible de faire du bon travail et d’obtenir de bons résultats sans professionnalisme. L’une des premières responsabilités du management est donc de se préoccuper du professionnalisme des collaborateurs, le professionnalisme étant entendu comme la synthèse des connaissances (savoir), de l’expérience (savoir-faire) et du comportement (savoir être), vécus dans une volonté exigeante de progression incessante. Lorsque les salariés se reconnaissent comme des professionnels, ils développent au quotidien des relations d’estime professionnelle, relations qui constituent la base des « bonnes relations » qui peuvent se nouer entre collègues de travail de tous niveaux hiérarchiques. Les « bonnes relations » sont donc ce qui est donné par surcroît lorsque chacun, en conscience, a bien fait son travail.
Dans ces circonstances, on perçoit mieux l’influence qu’un manager peut avoir sur les relations de travail lorsqu’il cultive, à la fois, la bienveillance dans la relation et l’exigence du professionnalisme dans l’action. Sa gentillesse ne tournera jamais en mièvrerie ni ses recadrages professionnels en règlements de compte. Car gentillesse, convivialité et bienveillance ne se fabriquent pas autour du travail : elles en procèdent. Faute de quoi, ce n’est qu’un placage qui ne dure pas. Les salariés reconnaissent tout de suite ce qui se vit en vérité de ce qui se construit artificiellement. Ils savent aussi que la bienveillance, comme l’enthousiasme et la reconnaissance, n’est contagieuse que si le travail est bien fait et qu’il produit des résultats.