La première fois que j’ai entendu cette expression, je me suis demandé, de prime abord, de quelle maladie il était question. Dans un second temps, je me suis plongé dans mon dictionnaire et j’y ai trouvé des choses fort intéressantes pour définir la rétention, et notamment :
- Accumulation excessive dans l’organisme de produits qui doivent normalement être éliminés,
- Phénomène par lequel l’eau des précipitations ne rejoint pas immédiatement les cours d’eau,
- Mesure coercitive permettant à l’autorité administrative de retenir une personne pour une durée limitée.
Il y a donc, dans l’idée de rétention, quelque chose de provisoire, quelque chose de limité dans le temps, quelque chose qui vise à retenir momentanément le cours des choses. Et quand on sait que la rétention désigne, en entreprise, une politique RH qui vise à retenir les salariés pour qu’ils ne partent pas, on est en droit de se poser quelques questions de fond sur ladite politique et sa légitimité.
En dépit d’un certain nombre d’années d’expérience, l’idée de bâtir une politique de rétention ne m’a jamais traversé l’esprit… Non pas que je fusse indifférent au départ des salariés, mais l’idée de chercher à les retenir me paraissait approcher le sujet sous un angle inadapté.
S’il y a une chose à laquelle nous sommes souvent très attachée, nous pauvres bipèdes de l’espèce humaine, c’est à notre liberté. Partant de l’idée que je ne me sentirais pas très à l’aise dans mon entreprise si j’avais le sentiment que l’on cherche à me retenir, je me suis dit qu’il pourrait en être probablement de même pour les autres et que je ressentirais cela un peu comme un attentat à ma liberté… mais peut-être souffre-je d’une hypersensibilité sur cette question ?
Certes, au premier abord, chercher à retenir des salariés peut paraître souhaitable, sinon utile, en particulier parce qu’un recrutement coûte cher, mais cette pratique parait dangereuse principalement à deux égards :
- Elle est susceptible d’ouvrir la porte à des dérives dont les plus marquantes à mes yeux sont d’une part la tentation de faire monter les enchères de la part des personnes que l’on cherche à retenir, et d’autre part le développement de réflexes de diva chez ces mêmes personnes.
- Elle peut se trouver rapidement prise à contre-pied par la nécessité économique de faire partir ces salariés ! Et c’est la crédibilité du management de l’entreprise qui se trouve alors altérée.
Alors, que faire ? La question soulevée par cette expression « maladroite » existe : c’est celle du « turn-over ». Faut-il chercher à fidéliser les salariés ? Si l’expression est un peu moins rugueuse, elle traduit cependant une conception de la fidélité que nous ne serions peut-être pas prêts à accepter en amour ou en amitié… Car il ne s’agit ni plus ni moins pour l’entreprise que de chercher à développer la fidélité de ses salariés tout en se conservant la possibilité de recourir à l’infidélité, c’est-à-dire à la rupture du contrat, individuelle ou collective… ce qui n’est pas sans conséquence sur la crédibilité de l’entreprise et son climat social.
A mon sens, la question du turn-over doit être posée en utilisant une approche qui suscite l’engagement des salariés, c’est-à-dire qui fasse appel à leur volonté. Ce dont l’entreprise a besoin, c’est de salariés qui non seulement continuent à faire route avec elle, mais le font parce qu’ils le veulent bien, parce que cela traduit leur engagement ; pas parce qu’on a cherché à les attacher, à les retenir. Les approches positives ont toujours infiniment plus de succès dans la durée que les approches négatives.
Nous savons tous qu’aucune politique de « rétention » n’empêchera jamais un salarié de quitter son entreprise, surtout si des raisons personnelles (famille, santé, géographie, …) viennent prendre le pas sur les raisons professionnelles.
Alors, ne cherchons pas à retenir les salariés, donnons-leur plutôt de bonnes raisons de rester, donnons leur envie de continuer à s’investir dans leur entreprise. C’est parce que leur entreprise s’intéressera au développement de leur potentiel que les salariés resteront et s’engageront ! Alors cultivons leur liberté de s’engager. Car lorsque viendra l’heure du déconfinement, c’est la capacité d’engagement des salariés qui fera la différence dans la relance de l’activité !